Génocide, métissage, des mots et des imaginaires
Génocide, métissage, des mots et des imaginaires
« L’invention en 1944, par le juriste Lemkin, du concept de
génocide, c’est-à-dire d’une notion désignant la destruction d’un groupe « en
tant que tel », a eu pour effet paradoxal de signaler et en même temps d’occulter
la problématique constructiviste des groupes, qu’il s’agisse des peuples ou des
classes sociales. Le processus de destruction de groupes entiers exige en effet
leur construction préalable […]. Mais précisément, l’arbitraire des groupes
constitués – Juifs, Tsiganes, homosexuels, malades mentaux – aurait du signaler
le processus constructiviste à l’œuvre au sein même de l’entreprise
génocidaire. Bien que cela puisse paraître une affirmation scandaleuse, il est
évident que le génocide a pour effet de constituer en tant que tel le groupe même
qu’il s’acharne à détruire et qu’il donne en particulier au groupe des
survivants une consistance qu’il n’aurait jamais eu sans cela. Le génocide, de par les procédures qu’il met en œuvre
– sélection des « éligibles », élimination des « inéligibles »,
hésitation sur la question des métis – est donc le
paradigme identitaire le plus efficace de notre époque. C’est en effet à l’aune
du génocide ou du judéocide que se fixe aujourd’hui le cours des différentes
identités contemporaines. Dans le cadre du modèle de la « concurrence
des victimes », toute une série de groupes emboîte le pas aux Juifs […]
Mais ce qu’il faut bien voir, c’est que la
généralisation du modèle du génocide a pour effet de racialiser l’espace
conceptuel à l’intérieur duquel se pensent et se construisent les différents
groupes, et donc les conflits qui les opposent. […] On le voit,
génocide et métissage sont des notions intimement liées en ce qu’elles
apparaissent toutes deux étroitement associées à
une problématique raciologique »
Amselle Jean-Loup, Logiques
métisses, Paris, Ed. Payot, 2009
[1990 pour la 1ère édition].
Introduction, pp. VIII-IX.