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21 mai 2009

Edward Saïd dénonce la récupération islamiste de son œuvre

Edward Saïd dénonce la récupération islamiste
de son œuvre


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               Le grand critique de l’orientalisme européen savant, Edward Saïd (1935-2003), dénonce certaines lectures de son œuvre, qui font de L’orientalisme (le livre) une défense de l’islam contre un Occident agresseur. Dans une postface datée de mars 1994, il s’insurge contre cette interprétation biaisée de son texte, en précisant que sa logique conduisait à récuser les notions même d’ « Orient » et d’ « Occident » et à interroger de façon critique la notion d'identité, alors que fondamentalisme islamiste et orientalisme savant s’acharnent à les légitimer. Il est intéressant de le relire, ne serait-ce que pour connaitre, en ce temps troublé de réhabilitations académiques des anciens savoirs sur l’Orient, les positions exactes d’un penseur hors du commun :
 
 
            « Permettez-moi de commencer par un des aspects de la réception accordée à ce livre que je regrette le plus et dont je m’efforce le plus ardemment aujourd’hui (en 1994) de surmonter l’impact sur moi-même. C’est l’anti-occidentalisme dont je suis taxé abusivement, par des commentateurs plutôt exubérants, qu’ils soient hostiles ou sympathiques à mon endroit. Cette notion comporte deux facettes, parfois combinées, parfois distinctes. La première est la thèse qu’on m’impute selon laquelle le phénomène de l’orientalisme est une synecdoque, ou un symbole miniaturisé de l’Occident tout entier, et qui serait censé représenter l’Occident en tant qu’entité. Ceci étant avéré, selon ces commentateurs, l’occident dans son ensemble doit être considéré comme l’ennemi des Arabes et des musulmans, et partant, des Iraniens, des Chinois et de beaucoup d’autres peuples non européens qui ont souffert du colonialisme et des préjugés occidentaux.
La seconde facette de l’argumentation qu’on m’attribue n’est pas moins lourde de conséquences. Elle consiste à dire que l’Occident et l’orientalisme ont violé l’islam et les Arabes (notons l’amalgame entre « Occident » et « orientalisme »). ceci étant avéré, l’existence même de l’orientalisme et des orientalistes est utilisée comme prétexte pour soutenir précisément l’inverse, à savoir que l’islam est parfait, qu’il est la seule voie (al-hal al-wahid), et ainsi de suite. En bref, critiquer l’orientalisme, comme je l’ai fait dans mon livre, revient à soutenir l’islamisme et le fondamentalisme musulman.
On ne sait que faire de ces extrapolations caricaturales d’un livre qui, pour son auteur et dans son argumentation, est explicitement opposé à toute catégorisation, radicalement sceptique à l’égard de notions figées telles qu’Orient et Occident, et qui s’efforce avec soin de ne pas « défendre », ni même de discuter de l’Orient et de l’islam. Et pourtant, L’orientalisme a été perçu et commenté dans le monde arabe comme une défense et une illustration systématique de l’islam et des Arabes, bien que j’y aies dit sans ambiguité que je n’avais ni l’intention, et encore moins la capacité, de montrer ce qu’était le véritable Orient et le véritable islam » (L’orientalisme, postface de 1994, p. 357)
 hassan_al_banna
«  L’orientalisme ne peut être compris comme une défense de l’islam qu’en supprimant la moitié de mon argumentation dans laquelle je dis […] que même la communauté originelle à laquelle nous appartenons de naissance n’est pas à l’abri de conflits d’interprétation, et que ce qui semble pour l’Occident être l’émergence, le retour ou la résurgence de l’islam est e fait la lutte en cours dans les sociétés musulmanes pour définir l’islam. Aucune personnalité, aucune autorité, aucune institution n’exerce un contrôle total sur cette définition ; d’où bien sur les conflits à ce sujet. L’erreur épistémologique du fondamentalisme est de croire que les « fondements » sont des catégories a-historiques, échappant de ce fait à l’examen critique des vrais croyants, qui doivent les accepter dans un acte de foi. Pour les adeptes d’une version restaurée ou revivifiée de l’islam primitif, les orientalistes sont considérés (par exemple Salman Rushdie) comme dangereux parce qu’ils altèrent cette version primitive, jettent le doute sur sa validité, la présentent comme tant frauduleuse et d’essence non divine. Pour eux, en conséquence, les vertus de mon livre étaient qu’il désignait la dangereuse malfaisance des orientalistes et en quelque sorte arrachait l’islam à leurs griffes.
Or, je n’ai guère l’impression de poursuivre pareil but en écrivant ce livre, mais cette opinion persiste. » (L’orientalisme, postface de 1994, p. 359)
 
 Note : le mot "islamiste" signifie ici partisan de l'islam politique, fondamentaliste ou intégriste musulman.


Bibliographie

Edward W. Saïd, L’orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Traduit de l’américain par Catherine Malamoud, Paris, Edition augmentée, 1997 [1980 pour la 1ère édition].


Consulter ici même :

Zoom sur Edward Saïd et l'orientalisme (première partie)

Zoom sur Edward Saïd et l'orientalisme (deuxième partie)

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Commentaires
N
Bonjour Natachamina,<br /> <br /> Je ne nie pas que ton directeur de thèse puisse être une sommité scientifique. Mais en science, il en va autrement que dans l'armée : on n'accepte pas sans l'avoir soumise à un examen critique l'opinion de son supérieur hiérarchique. C'est pourquoi j'oppose quelques arguments sur ce que tu viens d'écrire :<br /> <br /> a) Edward Saïd parle de l'orientalisme anglais et français et distingue des époques et des périodes dans cet orientalisme. Vers la fin de son livre, il parle d'orientalistes de la période récente devant lesquels il est admiratif, comme Maxime Rodinson et Marshall Hodgson, ou même Massignon, qu'il critique au passage. Il s'en prend essentiellement aux orientalistes du XIXeme siècle, contemporains des projets colonialistes de leurs états. Il faut donc contextualiser la critique de Saïd et ne pas la prendre pour éternelle et valable pour toutes les époques.<br /> <br /> b) Edward Saïd ne rejette pas "l'Occident" comme le font les islamistes. Il pense au contraire que le mot même d'Occident est une fiction idéologique. La preuve, il écrit à partir d'une université "occidentale".<br /> <br /> c) L'orientalisme comme discipline académique s'est éteint à peu près au moment où Saïd écrivait son livre. Très peu de gens se disent aujourd'hui orientalistes. Les chercheurs sur le monde musulman se disent plus volontiers sociologues, historiens, démographes, philologues, etc. jamais ou rarement orientalistes.<br /> <br /> d) l'étiquette "d'orientaliste" est utilisée par les islamistes pour discréditer tout effort de réflexion scientifique sur l'islam. Cette utilisation du mot "orientaliste" est donc idéologique et c'est pourquoi Saïd la refuse. Or, entre ton professeur, qui interprète l'oeuvre de Saïd et Edward Saïd lui-même, qui te dit ci-haut je suis contre cette utilisation de mon oeuvre, qui irais-tu croire ?<br /> <br /> NVS
N
C'est pourtant ce que mon directeur de recherche, Dr Darko Tanaskovic, un orientaliste renommé parlant une dizaine de langues et ancien ambassadeur en Turquie, nous a dit concernant E. Saïd: que l'orientalisme en tant que science sert à discréditer l'orient et appuyer le néocolonialisme des puissances occidentales...<br /> Or, ce professeur est serbe, nullement attiré par les thèses islamistes...<br /> Cordialement,<br /> Natasa
A
C'est une très bonne chose que de déshériter le discours revanchard des islamistes de la pensée critique et universaliste de Saïd.<br /> <br /> Cela dit, la réponse d'E. Saïd est en fait un dialogue qui ne dit pas son nom avec Bernard Lewis.<br /> Presque tous les extraits répondent à des "reproches" fait par cet orientaliste controversé dans un article resté célèbre (et médiocre).<br /> <br /> Je me chargerai donc de reproduire ce document indispensable.<br /> <br /> Dom-Tom bi kheir ;-)
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