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angles de vue...
4 juin 2009

Du discours de Dakar (Sarkozy)... au discours du Caire (Obama)

Du discours de Dakar (Sarkozy) ...
 
au discours du Caire (Obama)

 

Obama_source_cbs_news              Le discours – certainement historique – que vient de tenir (aujourd'hui 4 juin 2009) le président américain à l’université du Caire ne me fait pas penser à la rupture avec son prédécesseur, ce qui me parait évident, mais aux discours que Nicolas Sarkozy a tenu à l’université de Dakar le 26 juillet 2007, à l’adresse des Africains. Je ne sais pas comment va évoluer la politique de Barak Obama à l’égard du monde musulman, je ne connais pas l’issue du conflit avec l’Iran sur le nucléaire. Mais la simple comparaison des deux textes d’Obama et de Sarkozy fait apparaître un certain nombre de points saillants :
 
° Obama, président d’un pays puissant, démocratique et technologiquement performant, se met en position d’égal à égal vis-à-vis d’un ensemble de pays musulmans (qu’il sait pertinemment gouvernés par des (semi-) dictatures). Sarkozy déclame avec un paternalisme colonial du haut de sa francité des conseils à des pays africains qu’il considère comme incapables de sortir de leur arriération économique et culturelle. Il parlait pour dicter aux Africains « ce que l’Afrique est »,  « ce qu’elle veut » pour finalement, tenez-vous bien, lui proposer…une Renaissance !

« Cette Renaissance, je suis venu vous la proposer. » (Sarkozy)
« Alors cherchez l’autosuffisance alimentaire. Alors développez les cultures vivrières. » ; Sans parler des phrases du genre :
« Jeunesse africaine, faites ceci/ne faites pas cela… »  (Sarkozy)

 

Obama_1° Obama fait référence à des épisodes précis de l’histoire musulmane, comme l’Andalousie (à propos de laquelle il paraphrase Jacques Berque), montrant par là une connaissance raisonnable du passé musulman, là où Sarkozy fait appel à la nature et au retour cyclique des saisons, montrant par là une ignorance incroyable (à ce niveau de responsabilité) de l’histoire du continent africain…

eternel_retour

« Le drame de l'Afrique, disait-il, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. » (Sarkozy)
 
« Car chaque peuple a connu ce temps de l’éternel présent, où il cherchait non à dominer l’univers mais à vivre en harmonie avec l’univers. Temps de la sensation, de l’instinct, de l’intuition. Temps du mystère et de l’initiation. Temps mystique ou le sacré était partout, où tout était signes et correspondances. C’est le temps des magiciens, des sorciers et des chamanes. Le temps de la parole qui était grande, parce qu’elle se respecte et se répète de génération en génération, et transmet, de siècle en siècle, des légendes aussi anciennes que les dieux. » (Sarkozy)

 “As a student of history, I also know civilization's debt to Islam. It was Islam - at places like Al-Azhar University - that carried the light of learning through so many centuries, paving the way for Europe's Renaissance and Enlightenment. It was innovation in Muslim communities that developed the order of algebra; our magnetic compass and tools of navigation; our mastery of pens and printing; our understanding of how disease spreads and how it can be healed. Islamic culture has given us majestic arches and soaring spires; timeless poetry and cherished music; elegant calligraphy and places of peaceful contemplation. And throughout history, Islam has demonstrated through words and deeds the possibilities of religious tolerance and racial equality.” (Obama)

 Rahan
° Obama parle de la religion musulmane en citant des versets coraniques et en se référant à la tolérance ottomane envers les autres religions dites du Livre. Sarkozy parle des religions africaines sans les connaître et les assimile globalement à des croyances et des « mentalités » primitives. C’est ainsi qu’il confond dans une litanie « les dieux, les langues, les croyances, les coutumes ». Il reconnaît ensuite au continent des « racines », « la profondeur et la richesse de l’âme africaine » ; il lui concède enfin des choses plus bizarres, du style des « primitiveries » qu’on retrouve dans les BD de Rahan : « les mystères qui venaient du fond des âges » et « les liens sacrés que les hommes avaient tissés patiemment pendant des millénaires avec le ciel et la terre d’Afrique ». Mais, le drame de ces pauvres paysans attardés reste pour lui la répétition mythique du même qui les empêche de rentrer dans l’histoire et d’accéder au progrès…
 
° Obama parle de ce qui réunit les pays et les supposées civilisations où ils s’imbriquent, de ce que les êtres humains partagent, là où le président français insiste sur les différences entre l’Afrique et l’Europe, là où il oppose « l’homme africain » à « l’homme européen », quand ce n’est pas à « l’homme moderne » tout court, là où il distingue « la civilisation européenne » de la « civilisation des ancêtres » [africains]…

 
“ (…) the interests we share as human beings are far more powerful than the forces that drive us apart.” (Obama)
“All of us share this world for but a brief moment in time. The question is whether we spend that time focused on what pushes us apart, or whether we commit ourselves to an effort - a sustained effort - to find common ground, to focus on the future we seek for our children, and to respect the dignity of all human beings.” (Obama)
 
Sarkozy_Dakar« Le drame de l'Afrique ne vient pas de ce que l'âme africaine serait imperméable à la logique et à la raison. Car l'homme africain est aussi logique et raisonnable que l'homme européen » (Sarkozy) [Quelle découverte déconcertante !]
« Je suis venu vous dire que l’homme moderne qui éprouve le besoin de se réconcilier avec la nature a beaucoup à apprendre de l’homme africain qui vit en symbiose avec la nature depuis des millénaires. » (Sarkozy) [l’homme africain n’est donc jamais moderne, lui] 

° Là où le président américain parle de l’universel chez tous les êtres humains, Sarkozy met l’Afrique d’un côté et l’universel du côté opposé. Monopole européen de l’universel versus mentalité magique et mythique de l’Afrique...

« Le défi de l’Afrique, c’est d’apprendre à regarder son accession à l’universel non comme un reniement de ce qu’elle est mais comme un accomplissement. Le défi de l’Afrique, c’est d’apprendre à se sentir l’héritière de tout ce qu’il y a d’universel dans toutes les civilisations humaines. C’est de s’approprier les droits de l’homme, la démocratie, la liberté, l’égalité, la justice comme l’héritage commun de toutes les civilisations et de tous les hommes. » (Sarkozy) 

° Au niveau des langues, Obama commence par une adresse en arabe, signe de respect et de politesse envers les populations qui l’écoutent. Sarkozy affirme au contraire (en citant grossièrement Senghor) que les mots africains « sont naturellement nimbés d’un halo de sève et de sang » [remarquons les liquides convoqués et leur union à la terre, à la nuit et à la vie] tandis que les mots du français « eux, rayonnent de mille feux, comme des diamants. Des fusées qui éclairent notre nuit » [le français, c’est le ciel, la hauteur et la lumière]…

 
°  Tandis que Sarkozy fait la promotion des stéréotypes les plus honteux et les plus coloniaux sur l’Afrique (du genre les Africains sont des enfants, ils vivent dans le mythe), Obama promet de faire de son mieux pour lutter contre les stéréotypes qui ciblent l’islam et le monde musulman.

« L’Afrique a fait se ressouvenir à tous les peuples de la terre qu’ils avaient partagé la même enfance. » (Sarkozy)
« La réalité de l’Afrique, c’est celle d’un grand continent qui a tout pour réussir et qui ne réussit pas parce qu’il n’arrive pas à se libérer de ses mythes. » (Sarkozy)
 
“And I consider it part of my responsibility as President of the United States to fight against negative stereotypes of Islam wherever they appear.” (Obama)

 On peut raisonnablement se demander si, avant de faire son discours, le président américain n’avait pas lu le discours de Sarkozy, pour en prendre le contre-pied…

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Commentaires
B
Très intéressant! Merci pour cette analyse!<br /> <br /> Voici une analyse qui approfondie certains des points que vous avez très justement évoqué;<br /> <br /> http://www.unmondelibre.org/Kodia_revue_discours_Dakar
N
@ Eliakim,<br /> <br /> L'intérêt de cette comparaison me semble être dans la façon dont deux discours, qui émanent de lieux de pouvoirs, établissent avec des "humanités" autres et différentes. C'est le Rapport Nous/les Autres qui est au centre. Le fait est que pour Sarkozy les Africains sont grosso modo des hommes exclus de l'humanité actuelle (de l'histoire commune) alors que pour Obama les Arabes (qui sont aussi autres que le sont les Africains pour Sarko) sont des hommes inclus dans l'humanité de celui qui parle...<br /> Voilà. Je te remercie pour le compliment ! je conçois par ailleurs bien que je puisse écrire des articles initéressants :-)
A
Bonsoir Eliakim,<br /> <br /> Disons que la comparaison porte sur deux grandes puissances occidentales: l'une au passé colonial pas toujours oublié, et l'autre, au présent impérial arrogant et meurtrier.<br /> <br /> Je trouve bizarre que cela soit encore l'empire actuel qui fasse le plus de progrès dans la main tendue au reste de l'Humanité.
E
Naravas, étant donné les fautes que je ne cesse de faire je n'oserais reprocher à personne d'en faire. D'autant plus que le raisonnement importe mille fois plus qu'une orthographe souvent arbitraire.<br /> <br /> Seulement je ne comprend pas en quoi la comparaison que tu fais puisse apporter quoi que ce soit. <br /> A moins que j'ai tres mal compris ce que tu as écris, comparer un torchon et une voiture ne peut rien apporter de bien pertinent.<br /> <br /> Or (et ça jure nettement avec la qualité de ce que tu écris habituellement dans ton blog)la comparaison entre un président afro-américain faisant un discours en Egypte et un président français faisant un discours à Dakar est tout simplement pas comparable. Sur quel critère ? Il y a tellement de paramètres diffèrent(histoire, religion, relation de dépendance, identité des uns et des autres, images, représentations ...) à considérer que cela me semble tres (trop) peu pertinent.<br /> <br /> Cela dit je n'ai pas voté Sarkozy, je ne le soutient nullement, c'est juste qu'une chose m'éhcappe ;-)
N
Pour Laroui, on attend son décès pour le connaître et lui organiser des hommages journalistiques...comme d'hab koi ;-)
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