Quand le GIA exporte la guerre...
Quand le GIA exporte la guerre...
Le post qui va suivre est un extrait de la prochaine partie de mon Introducion à l'histoire de l'islamisme algérien. Il traite de façon résumée des tentatives du GIA, Groupe Islamique Armé, la plus radicale des organisations islamistes du maquis algérien, pour porter des coups à la France. Cette dernière est considérée par l'idéologie islamiste comme "la mère de tous les vices". L'objectif, selon la littérature du groupe, était de déstabiliser l'Héxagone, afin qu'il cesse d'apporter son soutien à l'état algérien. Le GIA était alors commandé par l'émir Djamel Zitouni, alias Abou 'Abd Allah Amîne (octobre 1994-juillet 1996). Auparavant, sous l'émirat de Djaâfar al-Afghâni (septembre 1993 - février 1994), de son vrai nom Mourad Si Ahmed , un ultimatum (fixé au 31 décembre 1993) fut donné aux étrangers en général, et aux Français en particulier, pour quitter l'Algérie. Isoler cette dernière du reste du monde était le pari, partiellement réussi, que s'étaient donné les groupes armés...
« Si mon père et ses frères ont expulsé physiquement la France oppresseur de l’Algérie, moi, je me consacre avec mes frères, avec les armes de la foi, à la bannir intellectuellement et idéologiquement. A en finir avec ses partisans vénéneux. Cela, afin que l’Algérie redevienne maîtresse de la Méditerranée, dans la ligne de l’islam prêché par le Coran, la Sunna et la vie exemplaire des pieux ancêtres. » ( Ali Benhadj, leader du Front Islamique du Salut, cité d’après Zerrouky, 2002, p. 138 )
Un Airbus pour la Tour Eiffel (décembre 1994)
Le 24 décembre 1994, alors que les familles algériennes et étrangères rentraient passer Noël ou le réveillon en France, un avion d’Air France est pris en otage à l’aéroport d’Alger par un commando du GIA, conduit par Abdellah Yahya, évadé de la prison de Tazoult (Lambèse) et membre de la phalange Al Mowaqi’ouna bid dimae [Ceux qui signent avec le sang]. Quatre hommes vêtus de la tenue réglementaire des agents de sol d’Air Algérie prennent possession de l’appareil et ordonnent aux passagères de se voiler (la tête). Ils décident de donner une preuve de leur détermination aux autorités algériennes en exécutant, après un contrôle d’identité, deux passagers : un policier algérien et un ressortissant vietnamien, tués respectivement d’une balle dans la nuque et dans la tête.
L’aéroport est bouclé par les services de sécurité, tous les vols sont annulés et de longues négociations sont engagées avec les ravisseurs. Ceux-ci demandent la libération de tous les prisonniers islamistes, dont Abdehak Layada, fondateur du GIA et les leaders du FIS, Ikhlef Cherati, Benhadj et Madani. Méziane Cherif, ministre de l’intérieur, parvient à faire libérer 69 passagers. Mais c’est à peu près tout. Les policiers amènent la mère du chef du commando pour le faire revenir à de meilleurs sentiments, ils amènent ensuite Abdelhak Layada en personne, sorti de la prison pour la circonstance. Rien n’y fait. Les ravisseurs campent sur leur position et l’Airbus est toujours immobilisé sur le sol de l’aéroport, le dimanche 25 décembre. Mais vers 21h30, les membres du GIA s’impatientent et abattent un employé de cuisine de l’ambassade de France, Yves Bonnet. Paris se met en colère et somme Alger de laisser l’avion décoller pour la France. A 3h du matin (26 déc.), l’Airbus atterrit à l’aéroport de Marseille. Après des négociations avec les pirates, vers 17h, le GIGN donne l’assaut devant les caméras de télévision. Réussite spectaculaire : les quatre ravisseurs sont éliminés et tous les passagers furent libérés sains et saufs. Plusieurs années plus tard, Omar Chikhi, émir fondateur du GIA encore en vie, révèle que l’avion devait exploser au-dessus de la Tour Eiffel et que si Yahya Rihane, dit Kronfel, qui devait participer à l’opération, était de la partie, le sort des passagers serait tout autre… l’idée de faire exploser sur une métropole occidentale un avion plein de voyageurs sera exécutée quelques années plus tard par les sbires de Ben Laden.Suite à ce détournement, l’aéroport d’Alger fut classé comme « très dangereux » et les compagnies européennes annulèrent massivement leurs vols en destination de l’Algérie. Pendant plusieurs années, seule Air Algérie desservait le pays. Le personnel des représentations diplomatiques des pays européens est réduit au strict minimum.Dans les maquis, on a suivi avec ferveur, minute après minute, le déroulement de la prise d’otage. On ne croyait pas à un tel dénouement, peu honorable pour les « moudjahidines ». En représailles à l’élimination de quatre de ses combattants, le 27 décembre Djamel Zitouni ordonne l’exécution de quatre pères blancs à Tizi-Ouzou, âgés pour la plupart entre 60 et 70 ans. Il s’agissait pour lui de continuer « la liquidation physique des croisés chrétiens » (Zerrouky, p. 175).
La guerre du GIA en France (été 1995)Pendant l’été 1995, Djamel Zitouni décide de porter un gros coup contre le France, « mère de tous les vices » selon l’idéologie islamiste. Après l’assassinat du cheikh Saharaoui, une bombe artisanale explose le 25 juillet 1995 à la station RER « Saint Michel » [attentat du Rer Saint Michel, 25 juin 1995] en faisant 9 morts et 116 blessés. Les autorités françaises déclenchent une vaste opération anti-terroriste. Le 17 août, une autre bombe explose avenue de Friedland, faisant 17 blessés. L’attentat est revendiqué sur les ondes de RTL par un homme du GIA. Le 26 août, une bombe est désamorcée à temps sur la ligne de TGV Lyon-Paris. D’autres attentats se produisent le 3 et 4 septembre à Paris, le 7 septembre à Villeurbanne, devant une école juive, le 6 et 17 octobre à la station de métro « Maison Blanche » et dans le RER. Les enquêteurs suivent la piste d’Abdelkrim Denèche, arrêté en Suède (mais non extradé vers la France), de Yahya Rayhane, dit Kronfel, qui s’échappe vers l’Algérie, où il meurt dans le maquis et de Khaled Kalkal. Un vaste réseau de soutien aux maquis algériens est découvert par les policiers. Boualam Bensaïd, coordinateur du réseau des poseurs de bombes, est interpellé à Paris le 1er novembre 1995, tandis que Rachid Ramda, financier du groupe, est interpellé à Londres. Le 4 mars 1997, est arrêté à Bruxelles, après une fusillade, Farid Mellouk. Le 29 septembre, Khaled Kelkal avait été abattu par un groupe du GIGN devant les caméras de télévision. Quelques voix de la communauté maghrébine, ne connaissant visiblement rien au dossier du GIA, avaient déploré cette chasse à l’homme en direct…Ces coups portés aux combattants islamistes permirent en tous les cas d’éviter d’autres attentats, qui étaient en préparation. Le groupe de Djamel Zitouni, tout-puissant en Algérie, eut à éprouver l’efficacité de la police française. L’échec de ses deux opérations d’envergure (Airbus et guerre en France), et surtout les contestations internes et externes suscitées par ses purges sanglantes, fragilisèrent gravement la position de Djamel Zitouni. Le 16 juillet 1996, aux pieds des monts de L’Atlas, à Gueroua, il tombe dans une embuscade dressée par son ancien lieutenant Sid Ali Benhadjar. Il meurt avec ses acolytes (dont Abou Rahaïna, alias Farid Achi), criblé de balles. Après moult tergiversations, c’est Antar Zouabri, petit frère d’Ali Zouabri (ancien élu du FIS et fondateur, rappelons-le, de l’un des premiers groupes armés, avant d’être abattu par l’armée) qui fut porté à la tête du GIA. Avec le petit frère Zouabri, l’islam politique algérien se précipite dans une longue horreur absolue. Zouabri délaisse les purges internes et prescrit une politique de terreur et d’anéantissement en direction du pouvoir et des populations civiles. Répandre l’épouvante, exhiber le plus haut degré d’atrocité, aller le plus loin possible dans la tuerie, la destruction et le massacre furent ses principaux moyens d’action.
Naravas
Bibliographie partielle :
- Zerrouky Hassane, 2002, La nébuleuse islamiste en France et en Algérie,
Paris, Editions 1.