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2 septembre 2008

Votre rôle est de défendre l’amour et non de le réprimer !

Note à l’attention des jeunes gens d’Azazga (Algérie)

Votre rôle est de défendre l’amour
 
et non de le réprimer !

 

DSC03244              Depuis quelque temps, je me rends compte que beaucoup de visiteurs algériens de mon site viennent de la région d’Azazga, située à quelques lieues de Tizi-Ouzou. J’avais en effet publié quelques photos sur la forêt de Yakouren, dont particulièrement une (ci-contre) qui a suscité intérêt . Il s’agit d’une plaque portant l’inscription « Ce lieu est interdit aux couples » et signée des initiales « S.V.G. ». La photo portait en outre un commentaire soulignant l’intolérance de l’attitude de ceux qui ont posé cette plaque, et celle de ceux qui l’ont laissé se fondre ainsi dans le paysage, par ailleurs magnifique.

Je suis sûr que les gens d’Azazga ne s’attendaient pas à un tel commentaire critique. Leur souci principal est sûrement celui de présenter une « bonne image » de leur région au monde. Mais, voyez-vous, je ne suis pas une agence de tourisme ou de publicité, mais un blogueur qui essaye de poser un regard critique sur sa société, sa culture et les valeurs indiscutées qui les sous-tendent.

Alors, si vous le voulez bien cher(e)s compatriotes, on peut reprendre le débat de telle façon à ce que je ne serai pas le seul à intervenir, car vous aussi vous pourrez laisser vos commentaires ici, dans le respect de l’éthique du débat [1], cela va de soi.

Les couples dont parlent ces plaques sont le plus souvent des amoureux qui fuient les regards réprobateurs de la société du centre-ville d’Azazga. Ils viennent se cacher dans une forêt, sous les buissons, pour pouvoir disposer d’un moment d’intimité. Il faut que le monde sache que les femmes sont interdites de rentrer dans les cafés en Algérie, et à Azazga en particulier. Certaines « pizzerias » acceptent de recevoir des couples, mais il est recommandé de bien se tenir pour ne pas s’attirer les remarques du serveur. J’ai moi-même vu dans des pizzerias à Tizi-Ouzou des écriteaux de la même nature, du genre : « nous respectons les gens qui se respectent ». Cela veut dire que si, dans la pénombre, votre main glisse vers celle de votre amie ou que vous vous aventurez à vous embrasser furtivement sur la bouche, le barman se sent en droit de vous mettre dehors, voire de vous agresser. Bien sûr, vous l’avez compris, la mixité dans la société kabyle est une illusion. A fortiori dans une petite bourgade comme Azazga où chacun surveille l’autre.

Dans ce petit monde d’interconnaissance où les familles sont jalouses de ce qu’elles croient être leur honneur, la première fille qui se fait croiser par son frère ou son père en ville en compagnie d’un homme étranger au cercle familial se fait réprimander…ou massacrer. Des comptes lui sont demandés et dans bien des cas elle sera enfermée ou battue si elle se trouve dans l’incapacité de justifier son comportement. Pas question de mettre l’honneur de la famille en péril !

Par exemple, il est impensable de voir des couples se prendre dans les bras au moment de se quitter, dans la gare routière, fussent-ils légalement mariés. Etre avec une femme, c’est être constamment épié. Les filles savent très bien quels risques elles encourent en fréquentant un garçon. Oui, être fille est « un métier à risques ». A commencer par l’éducation qu’on donne aux adolescentes, qui se résume en une série de menaces répétées. Aussi, quand quelques unes décident de braver les interdits, leur attitude relève du courage.

Un chantage permanent est exercé sur la réputation des jeunes filles : les mauvaises langues les cataloguent comme étant des « putes » dés qu’elles sont surprises dans un coin retiré avec un homme. Avec le phénomène des cybercafés, la pression s’est légèrement relâchée car certains laissent des couples s’embrasser à l’abri des regards.

Bien sûr, je parle des filles qui arrivent à trouver un prétexte pour sortir, sous couvert d’études ou d’emploi. Beaucoup travaillent pour des salaires modiques, pourvu qu’on leur donne l’occasion de sortir. Quant à la majorité, ce sont les « damnées de la terre », elles sont enfermées dans les cuisines et subissent des formes d’exploitation familiales proches de l’esclavage, surtout quand elles sont considérées comme « moches » et n’arrivent pas à trouver un mari. Par exemple, une fille illettrée qui a six frères est chargée de cuisiner pour eux, de laver leur vêtements et de les servir quand ils rentrent à la maison. Ces derniers n’ont qu’à salir des jeans et à les mettre de côté, les sœurs servent de machines à laver tant que celles-ci restent hors de prix pour les familles nombreuses.

Bien sûr, en principe et en pratique, pas de sexe avant le mariage ! La virginité, c’est l’obsession de tout Kabyle qui se respecte. Les « putes » dont parlent les gens d’Azazga (et des autres régions de Kabylie) ne sont pas des prostituées ou des filles engagées dans le travail du sexe. Ce sont de simples étudiantes, lycéennes, femmes employées dans quelque poste en ville, ayant décidé de fréquenter un homme. Mais le plus étonnant, c’est que ces soi-disant « putes » sont vierges !!!

DSC03245Après ce détour, revenons à ces plaques. Je ne sais pas qui sont les gens qui les ont écrites ni à quoi correspond le sigle « S.V.G. », qui sonne comme "vigilance". Peut-être que, naïvement, ils pensaient bien faire, en signalant de surcroit que l’endroit est dangereux pour les couples. En revanche, la finalité est claire, il s’agit de chasser les couples retranchés dans ce lieu isolé, loin de la ville. Bien sur, avant de les chasser, il faut les diaboliser. Comme me l’a écrit un citoyen d’Azazga, ce sont  «des dévergondés » qui viennent « baiser leurs prostituées au bord de la route ». Mais l’intolérance kabyle envers l’amour atteint ses pics quand des « bandes » de jeunes abrutis, improvisés en gardiens de la morale, viennent agresser sauvagement les couples en question. Bien sûr, ce ne sont pas ces abrutis qui ont posé les plaques : eux, ils n’avertissent pas, ils agissent. Certains couples ont été hospitalisés suite à des attaques de ce type et leurs voitures ont été démolies. Dans certains cas limites, les filles sont arrachées à leur compagnon et violées. Selon des témoignages que j’ai recueillis, un homme à Aït Arhouna, près d'Azeffoun, a été sauvagement assassiné, alors qu’il protégeait la fuite de sa campagne contre leurs agresseurs. Tout cela, parce que la morale des villages approuve ce genre d’actes barbares. Les jeunes considéraient sans doute que les couples méritaient d’être tués parce qu’ils faisaient de la "pornographie". C'est ainsi qu'ils justifient un assassinat, qui n’a même pas été convenablement puni par la justice. Cet intégrisme là qui porte des gens simples vers le meurtre et la violence n'est pas différent de l'intégrisme religieux islamiste.

En écrivant cela, je n’accuse bien sur pas les gens d’Azazga, surtout que ces choses se produisent partout en Kabylie, et partout au Maghreb. Je ne fais que replacer un phénomène dans l’ensemble des actes qui lui donnent sens. Au contraire, je voudrais vous inciter Gens d’Azazga à réfléchir de façon critique sur votre propre société. C’est très simple de critiquer le « pouvoir » et les « autorités ». Mais là, il s’agit de vous seuls et de vos familles, le pouvoir est étranger à cette histoire. Alors, critiquez-vous avec les mêmes principes que vous utilisez contre le gouvernement. La morale sexuelle de vos villages constitue l’une des causes de votre malheur. Si vous enfermez vos sœurs à la maison, vous ne pourrez pas rencontrer les sœurs de vos voisins en ville, car eux aussi ont fait comme vous. On ne peut pas se réclamer de la démocratie et de la liberté et approuver l’idée qu’une fille qui fait l’amour et perd sa virginité doit être punie de mort. On ne peut pas adhérer au FFS ou au RCD et rester aussi archaïque sur le terrain de la morale sexuelle et de la liberté des rapports entre les hommes et les femmes.

Un couple qui se becquette derrière un arbre, c'est beau, ça n'a rien d'obscène. Pourquoi identifier cela à de la pornographie ? Pourquoi accabler la fille de votre mépris ou saccager sa réputation ? Ici, en France, quand on voit un couple comme ça, on est content, on est heureux pour eux, pour leur bonheur. On ne leur tire en tous les cas pas dessus avec un fusil en criant au péché...

Je voudrais vous dire que votre rôle est celui de défendre l’amour et non celui de le réprimer. Votre rôle, jeunes hommes, est d’aider vos sœurs à s’émanciper et non pas d’aider la Tradition à leur voler leur liberté. Si beaucoup d’entre vous ne trouvent pas de filles à fréquenter, c’est perce que vos familles les ont empêchées de sortir et de circuler. Poser des plaques moralisatrices et soutenir la répression des plaisirs ne sert à rien d’autre qu’à accentuer votre marasme. J'ai montré cette pancarte à des gens très cultivés ici : ils étaient atterrés, dégoûtés, parce qu'ils croyaient que la Kabylie était plus « ouverte », plus « démocratique ».

C’est à vous d’imposer la mixité, de faire reculer l’idéologie des « familles », de périmer les idéaux des vieux clans sauvages, car personne ne le fera à votre place. C’est à vous de libérer l'amour, pour que cessent les agressions sur des gens innocents dont le seul tort est de prendre du plaisir.


[1] Je me réserverai bien entendu comme tout blogueur le droit de supprimer tout commentaire insultant.

 

 

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Commentaires
N
Société arabe ?<br /> Je ne sais pas si ça existe, cette chose. Il faut dire plutôt que le problème se pose dans bon nombre de sociétés, par exemple dans pas mal de sociétés indiennes, pas uniquement arabes. Mais il est vrai que le monde arabe connait les mêmes problèmes et de façon sérieuse. Ce qui nous intéresse en premier lieu ici, c'est la façon dont le Maghreb les vit, les justifie, les contourne, etc.<br /> Pour les filles, on est pas des juges, on raisonne à l'échelle des mécanismes sociaux, et ce mécanisme là existe en effet. Après, ce n'est pas forcément pour désigner des coupables et des innocents...<br /> Bien à toi !<br /> <br /> NVS
D
@Daiquiri & @Naravas MDR!!!!!<br /> <br /> Je ne pense pas que les filles là-bas qui se font "sautées" comme vous dîtes soient étrangères à toutes ces histoires, à vous lire on croirait des anges LOL! Faut modéré! C'est les hommes qui déflorent et les petites qui sont innocentes. Toujours? Bas voyons! Je dis ça parce qu'en France avec les maghrébins on peut entendre l'inverse! Çà pétarade chez nous! Puis après pour les relations d'amour je dirais que c'est toute la société arabe qui gère mal et pas que ceux que vous visez. Bon allez bonne soirée.<br /> <br /> USUS 3.0 SYSTEM OFF
N
@ Daiquiri :<br /> <br /> Oui, c'est bien dommage pour ces jeunes filles en effet. Les structures intériorisées sont plus fortes que la volonté de changer les choses, si toutefois celle-ci existe...<br /> Les Ancêtres redoublent de férocité !
D
Salut à toi Navaras!<br /> <br /> Alors, pour les faits relatés : l'anecdote de mes 17 ans remonte à (pffff... déjà! ;-) ) 99 et les petits jeunes qui se baladent main dans la main, ça date d'octobre dernier... 10 ans d'écart entre ces deux moments...<br /> <br /> Oui, cette liberté est, malheureusement, l'apanage des personnes aisées, cependant, je complèterai tes propos par rapport à "ces simulacres d'Occident", et par là-même, ruinerai la note d'espoir que je m'efforçais d'apporter plus haut! lol<br /> <br /> Les jeunes gens de la classe aisée marocaine, tout modernes qu'ils veulent se croire, sont de parfaits hypocrites. Ils sortent avec des filles de la même classe sociale qu'eux, les sautent (pardon pour le terme mais c'est le seul qui s'impose), sortent avec elles parfois de longs mois voire des années! Puis, quand il s'agit de passer aux choses sérieuses, de parler mariage, ben, ils les jettent tout simplement, en prétextant leur non-virginité ! Et bien souvent, ce sont eux qui les ont déflorées ces filles! Ca me fait vomir ! Et honnêtement, je ne pense pas que la pression familiale y soit pour quoi que ce soit ! En effet, ces filles venant du même milieu, ce n'est pas ce problème. <br /> En fait, je ne peux expliquer ce comportement que par cette espèce de schizophrénie qui a saisi les pays du Maghreb (en tout cas le Maroc et l'Algérie, car je ne connais pas la Tunisie) : Moderne quand on est jeune, dans l'insouciance, devant les potes, l'été à la plage... Et profondément rétrograde dès que les questions de fond concernant la relation homme-femme se posent (se marier, fonder une famille, trouver sa place d'adulte à adulte dans un couple).<br /> <br /> Dommage.
N
@ daiquiri,<br /> <br /> Je suis content de te lire !<br /> Pourrais-tu nous préciser la date de ces faits ?<br /> Oui tu as raison de dire que certaines libertés en matière d'amour restent l'apanage des classes aisées, qui aménagent souvent ce que j'appelle des "simulacres d'Occident" au Maghreb. Mais que ces îlots sont réduits et réservés face à l'océan des espaces moralisés, soumis à un contrôle souvent violent de l'usage que l'être humain fait de son propre corps. Je ne parle même pas de l'islamisme qui passe souvent aux méthodes radicales en ces matières. <br /> Mais ton histoire est géniale, elle nous dit combien d'un bout à l'autre du Maghreb, les mêmes problèmes sont posés, les mêmes expériences sont vécues...
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