Tariq Ramadan, prédicateur ou le télé-islamisme de France Télévision
Tariq Ramadan, prédicateur
ou le télé-islamisme de France Télévision
Faut-il vraiment faire une enquête pour découvrir que Tariq
Ramadan est adepte d'un islam fondamentaliste, proche de celui des Frères
Musulmans ? C'est à cet exercice que s'est livrée Caroline Fourest, journaliste
à Charlie Hébdo, dans une émission diffusée sur France Culture. Vu du monde
arabe, et particulièrement du Maghreb, ces débats nous paraissent surréalistes...
Tariq Ramadan n'est pas professeur d'université nous dit Fourest. On téléphone à Oxford pour le prouver et on découvre que le concerné ne dispose pas de chaire dans cette université. Il est plutôt rattaché à un centre associé, subventionné par l'émir du Qatar.
Mais où a-t-on vu un professeur
d'université enregistrer ses discours sur cassettes audio et les diffuser à travers
les circuits d'une librairie religieuse (Tawhîd, « L’Unicité divine »),
aux côtés de livres classiques du salafisme et dans un environnement sentant le
mesk et vendant le khol ? A-t-on jamais entendu dire que Mohammed Arkoun, Régis
Blachère ou Jacques Berque se faisaient écouter dans les taxis et les voitures
parisiens ? Connaît-on un seul islamologue sérieux qui distribue (ou fait
distribuer) ses cassettes à la sortie des mosquées ?
En revanche, nous savons très bien dans le monde arabe que
la cassette (bande magnétique) est le vecteur de diffusion des prêches
islamistes, que les discours d'Ali Benhadj et d'Abassi Madani par exemple étaient
édités, distribués et propagés par le même moyen... Le canal de diffusion est dans ce cas un indice probant sur la nature même du discours envisagé. On nous dit que, finalement, Tariq Ramadhan est un prédicateur,
qu'il proposait en Martinique la constitution de « piscines islamiques ».
Mais vu du monde arabe, nous réalisons très bien que M. Ramadan n'a rien
d'original : des centaines de prédicateurs comme lui sont financés à coups
de pétrodollars, leurs discours diffusés sur Internet et par des chaînes
satellitaires (Iqraa, Al Rissala, Al Jazeera, etc.), comme Amr Khâlid, Ghazi El
Chamri, Tareq Suwaidan, le très officiel Youssef Al Qaradhaoui et d’autres. Le simple fait que
Ramadan parle français ou vive en Suisse le rendrait-il plus moderne ou plus « européen » que Amr Khâlid ? (qui, au passage, vit lui aussi au Royaume Uni). Le fait qu'il écrive des livres signifie-t-il qu'il soit un penseur moderniste ? (Tareq Suwaïdan en fait aussi, et en anglais)
La proposition des « piscines islamiques » n'a
rien d'insolite pour nous, elle trouve un écho direct dans les faits récents
qui ont ébranlé l'Algérie : le FIS (Front Islamique du Salut), dés le début de
sa prédication, islamisait progressivement les espaces publics de la même façon
: « mairie islamique », « marché islamique », « boucherie
islamique » et même... « toilettes islamiques » ! Qu'est ce
qu'il y aurait d'étonnant qu'un prédicateur francophone vous parle un jour « d'hôpital
islamique » ou de « crèche islamique » (non mixte bien sur) ?
Mais la meilleure, c'est qu'on nous démontre que le grand-père
de Tariq Ramadan (qui est aussi son modèle) , Hassan El Banna, fondateur de la secte des frères musulmans,
n'est pas un réformiste comme Mohammed 'Abdou ou Djamal Eddine El Afghâni. Mais
à qui vous le dites ? Hassan El Banna est connu par tous les esprits libres du
monde musulman comme le ravageur de l'Egypte, l'instigateur de la clôture intégriste
et le précurseur de la violence politico-religieuse qui menace aujourd'hui
presque tous nos pays. Démontrer que Hassan El Banna est un fondamentaliste,
c'est enfoncer des portes ouvertes. C'est autant démontrer que Mussolini n'est pas un démocrate.
On nous dit que Tariq Ramadan a soutenu, grosso modo, une thèse
douteuse, rejetée par un premier jury, avant d'être passablement acceptée (et
encore) par un deuxième jury de complaisance. Mais comment peut-on ne pas
douter du travail de quelqu'un qui fait une thèse pour démontrer que son grand
père est le meilleur ? (Car c'est bien de cela qu'il s'agit). La célèbre
astrologue Elisabeth Teissier n'a-t-elle pas soutenu une thèse de...sociologie à
l'université René Descartes, devant un jury présidé par un grand
psychosociologue (Serge Moscovici), qui la déclarait Docteure en sociologie ?
Ces douctours sont tellement fréquents chez nous que personne ne s'en
offusque vraiment...Enfin, on nous démontre que Ramadan est contre la mixité,
opposé à la sexualité avant le mariage et à l'homosexualité, promoteur d'un "féminisme"
réactionnaire, du voile et de la virginité, et j'en passe. Eh bien, dites-moi
ce qui resterait d'islamiste chez un prédicateur qui serait pour la liberté
sexuelle, qui inciterait les femmes à abandonner le précepte non coranique du
voile, qui tolérerait les homosexuels et les apostats, qui encouragerait les
femmes à lutter pour leurs droits sociaux, qui renoncerait à la politique et
pratiquerait sa foi dans la sphère privée ? Je veux dire qu’il n’est pas
possible de poser ces traits, sans que le portrait du prédicateur islamiste qu’ils
constituent ne soit posé en même temps, et inversement.
Replacé dans son
contexte large, celui de la nouvelle prédication islamiste qui souffle sur le
monde islamique (même chez les Turcs, avec un Harun Yahya par exemple), Ramadan
ne serait rien d’autre qu’un prétendant parmi beaucoup d’autres, qui veut avoir
sa part (francophone) du grand gâteau de l’audimat musulman.
Au final, ce n'est pas l'argumentation de Caroline Fourest
qui m'inquiète, mais le monde médiatique français (et l’opinion qu’il influence),
qui a rendu nécessaire cette démonstration. En répercutant leur ignorance sur
leurs téléspectateurs, les médias français, toujours à la recherche du
spectacle (cirque des temps modernes) et de l'audimat, jouent le même rôle sur
cette question que les médias arabes qui diffusent les prêches des prédicateurs
islamistes. France Télévision a son prédicateur vedette, exactement comme Al
Jazeera ou Al Rissala a le sien.
Les immigrés, après avoir été abandonnés par
les politiques de l'état et discriminés par un racisme social et institutionnel qui ne dit pas son nom, sont à présent
rejetés dans les bras de l'islamisme télévisuel. La société marginale qu’ils
constituent a été travaillée par le FIS algérien et les marchands d'identité islamique au moins depuis 1992. Quand la
rage des dominés rencontre les aspirations religieuses des prédicateurs, gare
aux conséquences. Nous les avons bien expérimentées au Maghreb, dans l'Algérie
récente (années 1990) , mais aussi dans le donatisme de l'Afrique chrétienne...
Naravas